Sur la route...

dimanche 24 mai 2015

La terre du milieu

Dès les premiers tours de roue en Equateur, le mystère des Andes nous enveloppe telle une écharpe d'alpaga. La vue porte loin sur les sommets jouant à cache cache avec les nuages. Il fait froid, nous sortons les gants d'hiver et multiplions les couches de laine. L'altitude marque le visage des gens, leurs joues sont rouges et gonflées. Sur leur tête un chapeau coloré, sur leurs épaules des châles chauds tricotés main. Pour réchauffer les coeurs et les corps, les plats sont caloriques. A El Angel, nous goûtons à la fritadas : lard et patates revenues dans la graisse.
Sur une Panaméricaine étonnement tranquille, nous scrutons l'horizon à la recherche des premiers volcans enneigés. Mais la météo est capricieuse, il nous faudra patienter un peu. Le 13 avril, nous basculons dans l'hémisphère sud. Nous traversons pour la première fois la ligne de l'équateur par voie terrestre.

Le temps est à la pluie, nous trouvons réconfort aux sources thermales de Papallacta. Pour quelques dollars, nous nous réchauffons dans les eaux brûlantes sortant du ventre du volcan Antisana. Nous évoquons nos rêves d'enfance, comme celui de voir la forêt amazonienne. Nous n'en avons jamais été aussi proche. Pourtant un grand détour s'impose pour s'y rendre. Que faire? Le sang bouillonant, nos neuronnes s'activent. Un coup d'oeil à la carte et au calendrier, notre décision est prise. La petite voix de notre enfance a gagné.
C'est ainsi que nous changeons de cap et remontons vers le nord-est en direction de Lago Agrio, dernière ville d'importance avant le poumon vert. Une bonne journée de moto sous une pluie torrentielle sera nécessaire pour atteindre l'objectif. Nous arrivons trempés jusqu'aux os et sans attendre dégotons de bons vieux cirés qui semblent être à la mode ici. La ville de Lago Agrio n'est pas franchement attractive. Elle semble avoir été construite trop vite, sans soucis d'esthétisme ni d'homogénéité. Son dévelopement rapide est dû aux gisements de pétrole du bassin amazonien.

Après avoir prit quelques renseignements, il apparaît malheureusement difficile de partir à l'aventure dans la jungle par soi même (à moins de s'appeler Mike Horn). L'accès aux différents villages et au coeur de la forêt se fait uniquement par voie fluviale. De plus, il n'y a pas de transports réguliers et aucun hébergement possible dans les communautés. Nous n'avons donc pas le choix et devons nous joindre à un groupe et rester dans un écolodge. Nous appréhendons un peu.
Le reste de la troupe arrivera directement par bus de nuit depuis Quito. Nous qui sommes sur place depuis deux jours, frais comme des gardons, observons avec amusement leur têtes déconfites. Deux heures de bus ennuyantes puis deux heures de pirogues excitantes, nous voilà à destination. Les derniers méandres du rio Cuyabeno et l'arrivée au lodge bâti sur pilotis nous déconstipent un peu. Sur le chemin aquatique, nous avons eu la chance d'apercevoir plusieurs espèces de singes, un anaconda et une multitude d'oiseaux bariolés. Prometteur! Le soir, nous faisons connaissance avec la bande autour d'un bon repas. Entre le plat et le dessert, monsieur caïman vient nous dire bonsoir. Une belle bête de deux mètres, se faufile sous le plancher et quémande un pignon de poulet. En levant la tête, accroché au toit de palme, une charmante tarentule nous rappelle l'utilité des moustiquaires sur nos lits.
Nous sommes ici pour quatre jours. Notre guide Clidé, nous annonce avec enthousiasme le programme des jours à suivre, façon Club-Med. Les deux premiers jours seront consacrés à l'observation de la faune et de la flore. Entre le canot à moteur et les explications niveau CM2 du guide, nous avons peu aimé la forme. En revanche la nature, elle, ne nous déçoit pas. Comme dans les livres, comme dans les rêves, le vert nous envahit, la diversité animale et végétale nous ébahit. Songez que la moitié des espèces animales et végétales recensées sur la planète se trouvent en Amazonie. Aux dernières lueurs du jour, après une baignade courageuse dans les eaux troubles, un dos rose fait surface. Il s'agit d'un dauphin! S'est-il perdu?
Le dauphin rose d'Amazonie est un lointain cousin des espèces marines, preuve vivante du passé géologique du bassin Amazonien. Il y a des millions d'années, la grande forêt n'était qu'océan, jusqu'à ce que les Andes se dressent à l'ouest, bloquant l'accès au pacifique et inversant le cours de l'Amazone.
Les nuits dans notre cahute sont bercées par le croassement des grenouilles et le bruit sourd des pluies équatoriales.
Au matin, nous rêvons tous les deux de nous enfuir à la rame pour écouter en silence le dialogue des oiseaux. Mais non, Clidé le surexcité s'en tient au programme. Il veut combler un vide qui n'existe pas à nos yeux, le merveilleux de la jungle se suffit à lui même. Nous partons, comme des moutons, visiter une communauté indigène sur la rive du fleuve. Manège bien rodé, nous assistons d'abord à la préparation du pain de manioc puis devons participer à une partie de foot avec les locaux, qui malheureusement sont tous à la sieste ou à la chasse. Pour clore cette journée en beauté, nous rencontrons le shaman du village. Oups, il n'a pas été prévenu à temps. "Vite, vite, pars mettre ton déguisement et des plumes dans les fesses, des touristes arrivent!". Nous assistons dépités à la cérémonie bidon que la troupe recrée pour chaque brassée de gringos. Le tout conclu par une quête lucrative qui servira sans doute à racheter des bières.
Nos compagnons anglo-saxons semblent ravis. Au risque de passer une fois de plus pour de parfaits français râleurs, nous assumons notre esprit critique et ne pouvons cacher notre amertume au dernier repas du séjour. Quelle est l'intérêt de tout ça? Ca ne sert ni aux visiteurs, ni aux visités. Les villages que nous avons vu étaient encore "incontactés" dans les années 70. Leur mode de vie traditionnel inextricablement lié à la nature à été bouleversé. De notre point de vue, il ne profiterons en rien du tourisme et de la modernité (d'autres exemples d'intégration impossible de par le monde sont bien trop connus). De même, pour les étrangers que nous sommes, il apparaît indécent et triste d'exhiber ces populations comme des bêtes de foire et de bafouer leur culture ancestrale.
Par ailleurs, pourquoi faudrait-il absolument trouver une utilité économique à un milieu naturel? L'or, le bois, le pétrole, aujourd'hui le tourisme, demain l'industrie pharmaceutique. La forêt amazonienne, réservoir de biodiversité, refuge millénaire de peuples fragiles, trésor pour l'humanité, ne pourrait-elle pas plaire à l'Homme par le simple fait d'exister?

Nous retrouvons la terre ferme et notre liberté de voyageurs indépendants. Nous regagnons les Andes par un nouvel itinéraire nous faisant découvrir une campagne pauvre et défigurée par des constructions sauvages. Nous retrouvons le plaisir d'un bain chaud dans la ville thermale de Baños.
De l'autre côté de la cordillère, le temps s'éclairci. Nous avons bon espoir d'apercevoir le volcan Chimborazo, point culminant de l'Equateur (6268 m) et également sommet le plus éloigné du centre de la Terre. Nous en faisons le tour et par son versant ouest il se dévoile enfin. Majestueux cône enneigé, jalouseument gardé par des troupeaux de lamas, d'alpagas et de vigognes sauvages. Nous décidons de dormir à ses pieds et trouvons refuge dans la maison du condor, petite auberge tenue par des bergers. Au petit matin, nous partons à l'assaut de la montagne pour atteindre le dernier refuge. Pas vraiment un exploit, il n'y a presque pas de neige, seul le manque d'oxygène rappelle que nous sommes à 5065 mètres d'altitude. Le paysage est lunaire en redescendant les flancs du volcan. Ce petit pays est décidement très diversifié.

Sur la route qui mène à Cuenca, nous admirons les paysages agricoles des vallées andines. A Ingapirca, nous visitons un site Inca. Nous sommes pourtant à quelques 2500 kilomètres de la capitale de l'empire, Cusco, ce qui démontre l'étendue de cette civilisation. Une fois n'est pas coutume, nous nous attardons dans une ville, celle de Cuenca. Nous ne sommes pas déçus. C'est un cocktail de passé avec son architecture coloniale et de présent avec une modernité affichée dans les rues ou à l'université. Dans le centre historique, nous croisons aussi bien des indiens dialogant en quechua que des jeunes, toute crête sortie, mp3 sur les oreilles. Le musée national est du même acabit. On y trouve une section d'art contemporain très avant-gardiste, tandis que l'autre partie du musée est consacrée à la diversité ethnique du pays et à l'histoire de ces peuples. Nous avons particulièrement été interloqués par la vie des Shuars. Ce peuple d'Amazonie, vivant à cheval sur les territoires d'Equateur et du Pérou s'est fait connaître par une pratique shamanique un tant soit peu barbare, celle du rétrécissage de tête. Rituel aujourd'hui officiellement interdit, on trouve encore des tsantzas (têtes réduites), véridiques ou falsifiés, sur le marché noir (très noir) à destination des collectionneurs glauques. A quand des bus de touristes chez les shuars pour faire rétrecir des têtes déjà bien petites?
Peu avant la frontière Péruvienne, notre moto fait des siennes et s'arrête net. Plus de son, plus d'image. Il nous faudra la pousser pendant quelques kilomètres jusqu'à la ville de Loja. Dans son garage, au milieu des petits deux temps 125, Roberto nous fait croire qu'il a l'habitude de réparer des KLR 650. Méthode radicale pour régler le problème électrique, il met des fusibles de plus grosse capacité. Grossière erreur comme nous le verrons par la suite!
En attendant, la moto redémarre et nous nous remettons en route pour le Pérou, prochaine étape de notre périple à deux roues.




Au milieu du monde

Campagne andine

Dauphin à tribord

Le livre de la jungle

Attention aux piranhas

Préparation du pain de manioc

Douche équatoriale

Pulls sur pattes

Café de campagne

Bien au chaud...

...comme le ptit vieau

Vigognes sauvages

Regard de biche

A nous la liberté

Au village du condor

Pause café : what else?

Record d'altitude

On a marché sur la lune

Cosmonaute

En route vers Cuenca

Sucrage de bec

Mamie bougie

Tête réduite

Tritons crêtés

La patate en veux tu, en voilà!

Habits du dimanche