Dès les premiers tours
de roue en Equateur, le mystère des Andes nous enveloppe telle une
écharpe d'alpaga. La vue porte loin sur les sommets jouant à cache
cache avec les nuages. Il fait froid, nous sortons les gants d'hiver
et multiplions les couches de laine. L'altitude marque le visage des
gens, leurs joues sont rouges et gonflées. Sur leur tête un chapeau
coloré, sur leurs épaules des châles chauds tricotés main. Pour
réchauffer les coeurs et les corps, les plats sont caloriques. A El
Angel, nous goûtons à la fritadas : lard et patates revenues dans
la graisse.
Sur une Panaméricaine
étonnement tranquille, nous scrutons l'horizon à la recherche des
premiers volcans enneigés. Mais la météo est capricieuse, il nous
faudra patienter un peu. Le 13 avril, nous basculons dans
l'hémisphère sud. Nous traversons pour la première fois la ligne
de l'équateur par voie terrestre.
Le temps est à la pluie,
nous trouvons réconfort aux sources thermales de Papallacta. Pour
quelques dollars, nous nous réchauffons dans les eaux brûlantes
sortant du ventre du volcan Antisana. Nous évoquons nos rêves
d'enfance, comme celui de voir la forêt amazonienne. Nous n'en avons
jamais été aussi proche. Pourtant un grand détour s'impose pour
s'y rendre. Que faire? Le sang bouillonant, nos neuronnes s'activent.
Un coup d'oeil à la carte et au calendrier, notre décision est
prise. La petite voix de notre enfance a gagné.
C'est ainsi que nous
changeons de cap et remontons vers le nord-est en direction de Lago
Agrio, dernière ville d'importance avant le poumon vert. Une bonne
journée de moto sous une pluie torrentielle sera nécessaire pour
atteindre l'objectif. Nous arrivons trempés jusqu'aux os et sans
attendre dégotons de bons vieux cirés qui semblent être à la mode
ici. La ville de Lago Agrio n'est pas franchement attractive. Elle
semble avoir été construite trop vite, sans soucis d'esthétisme ni
d'homogénéité. Son dévelopement rapide est dû aux gisements de
pétrole du bassin amazonien.
Après avoir prit
quelques renseignements, il apparaît malheureusement difficile de
partir à l'aventure dans la jungle par soi même (à moins de
s'appeler Mike Horn). L'accès aux différents villages et au coeur
de la forêt se fait uniquement par voie fluviale. De plus, il n'y a
pas de transports réguliers et aucun hébergement possible dans les
communautés. Nous n'avons donc pas le choix et devons nous joindre à
un groupe et rester dans un écolodge. Nous appréhendons un peu.
Le reste de la troupe
arrivera directement par bus de nuit depuis Quito. Nous qui sommes
sur place depuis deux jours, frais comme des gardons, observons avec
amusement leur têtes déconfites. Deux heures de bus ennuyantes puis
deux heures de pirogues excitantes, nous voilà à destination. Les
derniers méandres du rio Cuyabeno
et l'arrivée au lodge bâti sur pilotis nous déconstipent un peu.
Sur le chemin aquatique, nous avons eu la chance d'apercevoir
plusieurs espèces de singes, un anaconda et une multitude d'oiseaux
bariolés. Prometteur! Le soir, nous faisons connaissance avec la
bande autour d'un bon repas. Entre le plat et le dessert, monsieur
caïman vient nous dire bonsoir. Une belle bête de deux mètres, se
faufile sous le plancher et quémande un pignon de poulet. En levant
la tête, accroché au toit de palme, une charmante tarentule nous
rappelle l'utilité des moustiquaires sur nos lits.
Nous sommes ici pour
quatre jours. Notre guide Clidé, nous annonce avec enthousiasme le
programme des jours à suivre, façon Club-Med. Les deux premiers
jours seront consacrés à l'observation de la faune et de la flore.
Entre le canot à moteur et
les explications niveau CM2 du guide, nous avons peu aimé la forme.
En revanche la nature, elle, ne nous déçoit pas. Comme dans les
livres, comme dans les rêves, le vert nous envahit, la diversité
animale et végétale nous ébahit. Songez que la moitié des espèces
animales et végétales recensées sur la planète se trouvent en Amazonie. Aux dernières lueurs du jour, après une baignade
courageuse dans les eaux troubles, un dos rose fait surface. Il
s'agit d'un dauphin! S'est-il perdu?
Le dauphin rose
d'Amazonie est un lointain cousin des espèces marines, preuve
vivante du passé géologique du bassin Amazonien. Il
y a des millions d'années, la grande forêt n'était qu'océan,
jusqu'à ce que les Andes se dressent à l'ouest, bloquant l'accès
au pacifique et inversant le cours de l'Amazone.
Les nuits dans notre
cahute sont bercées par le croassement des grenouilles et le bruit
sourd des pluies équatoriales.
Au matin, nous rêvons
tous les deux de nous enfuir à la rame pour écouter en silence le
dialogue des oiseaux. Mais non, Clidé le surexcité s'en tient au
programme. Il veut combler un vide qui n'existe pas à nos yeux, le
merveilleux de la jungle se suffit
à lui même. Nous partons, comme des moutons, visiter une
communauté indigène sur la rive du fleuve. Manège bien rodé, nous
assistons d'abord à la préparation du pain de manioc puis devons
participer à une partie de foot avec les locaux, qui malheureusement
sont tous à la sieste ou à la chasse. Pour clore cette journée en
beauté, nous rencontrons le shaman du village. Oups, il n'a pas été
prévenu à temps. "Vite, vite, pars mettre ton déguisement et
des plumes dans les fesses, des touristes arrivent!". Nous
assistons dépités à la cérémonie bidon que la troupe recrée
pour chaque brassée de gringos. Le tout conclu par une quête
lucrative qui servira sans doute à racheter des bières.
Nos compagnons
anglo-saxons semblent ravis. Au risque de passer une fois de plus
pour de parfaits français râleurs, nous assumons notre esprit
critique et ne pouvons cacher notre amertume au dernier repas du
séjour. Quelle est l'intérêt de tout ça? Ca ne sert ni aux
visiteurs, ni aux visités. Les villages que nous avons vu étaient
encore "incontactés" dans les années 70. Leur mode de vie
traditionnel inextricablement
lié à la nature à été bouleversé. De notre point de vue, il ne
profiterons en rien du tourisme et de la modernité (d'autres
exemples d'intégration impossible de par le monde sont bien trop
connus). De même, pour les étrangers que nous sommes, il apparaît
indécent et triste
d'exhiber ces populations comme des bêtes de foire et de bafouer
leur culture ancestrale.
Par ailleurs, pourquoi
faudrait-il absolument trouver une utilité économique à un milieu
naturel? L'or, le bois, le pétrole, aujourd'hui le tourisme, demain
l'industrie pharmaceutique. La forêt amazonienne, réservoir de
biodiversité, refuge millénaire de peuples fragiles, trésor pour
l'humanité, ne pourrait-elle pas plaire à l'Homme par le simple
fait d'exister?
Nous retrouvons la terre
ferme et notre liberté de voyageurs indépendants. Nous regagnons
les Andes par un nouvel itinéraire nous faisant découvrir une
campagne pauvre et défigurée
par des constructions sauvages. Nous retrouvons le plaisir d'un bain
chaud dans la ville thermale de Baños.
De l'autre côté de la
cordillère, le temps s'éclairci. Nous avons bon espoir d'apercevoir
le volcan Chimborazo, point culminant de l'Equateur (6268
m) et également sommet le plus éloigné du centre de la
Terre. Nous en faisons le tour et par son versant ouest il se dévoile
enfin. Majestueux cône enneigé, jalouseument gardé par des
troupeaux de lamas, d'alpagas et de vigognes sauvages. Nous décidons
de dormir à ses pieds et trouvons refuge dans la maison du condor,
petite auberge tenue par des bergers. Au petit matin, nous partons à
l'assaut de la montagne pour atteindre le dernier refuge. Pas
vraiment un exploit, il n'y a presque pas de neige, seul le manque
d'oxygène rappelle que nous sommes à 5065 mètres d'altitude. Le
paysage est lunaire en redescendant les flancs du volcan. Ce petit
pays est décidement très diversifié.
Sur
la route qui mène à Cuenca, nous admirons les paysages agricoles
des vallées andines. A Ingapirca, nous visitons un site Inca. Nous
sommes pourtant à quelques 2500
kilomètres de la capitale de l'empire, Cusco, ce qui démontre
l'étendue de cette civilisation. Une fois n'est pas coutume, nous
nous attardons dans une ville, celle de Cuenca. Nous ne sommes pas
déçus. C'est un cocktail de passé avec son architecture coloniale
et de présent avec une modernité affichée dans les rues ou à
l'université. Dans le centre historique, nous croisons aussi bien
des indiens dialogant en quechua que des jeunes, toute crête sortie,
mp3 sur les oreilles. Le musée national est du même acabit.
On y trouve une section d'art contemporain très avant-gardiste,
tandis que l'autre partie du musée est consacrée à la diversité
ethnique du pays et à l'histoire de ces peuples. Nous avons
particulièrement été interloqués par la vie des Shuars. Ce peuple
d'Amazonie, vivant à cheval sur les territoires d'Equateur et du
Pérou s'est fait connaître par une pratique shamanique un tant soit
peu barbare, celle du rétrécissage
de tête. Rituel aujourd'hui officiellement interdit, on trouve
encore des tsantzas (têtes
réduites), véridiques ou falsifiés, sur le marché noir (très
noir) à destination des collectionneurs glauques. A quand des bus de
touristes chez les shuars pour faire rétrecir des têtes déjà bien
petites?
Peu avant la frontière
Péruvienne, notre moto fait des siennes et s'arrête net. Plus de
son, plus d'image. Il nous faudra la pousser pendant quelques
kilomètres jusqu'à la ville de Loja. Dans son garage, au milieu des
petits deux temps 125, Roberto nous fait croire qu'il a l'habitude de
réparer des KLR 650. Méthode radicale pour régler le problème
électrique, il met des fusibles de plus grosse capacité. Grossière
erreur comme nous le verrons par la suite!
En attendant, la moto
redémarre et nous nous remettons en route pour le Pérou, prochaine
étape de notre périple à deux roues.
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Au milieu du monde |
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Campagne andine |
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Dauphin à tribord |
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Le livre de la jungle |
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Attention aux piranhas |
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Préparation du pain de manioc |
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Douche équatoriale |
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Pulls sur pattes |
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Café de campagne |
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Bien au chaud... |
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...comme le ptit vieau |
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Vigognes sauvages |
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Regard de biche |
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A nous la liberté |
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Au village du condor |
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Pause café : what else? |
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Record d'altitude |
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On a marché sur la lune |
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Cosmonaute |
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En route vers Cuenca |
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Sucrage de bec |
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Mamie bougie |
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Tête réduite |
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Tritons crêtés |
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La patate en veux tu, en voilà! |
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Habits du dimanche |