Sur la route...

mardi 24 mars 2015

Pura vida


La Margarita et Thalassa ont fait peau neuve. Nettoyage, graissage, réglages aux petits oignons, nous récupérons nos vélos comme neufs. Ils sont prêts, tout comme nous. Prêts pour enfin enchaîner les journées de pédalage. Notre objectif : ne pas mettre un pied dans le bus jusqu'à Panama.
C'est ainsi que nous partons de bon matin en direction de Granada, ville coloniale sur les bords du lac Nicaragua. Au milieu de cette énorme étendue d'eau semblable à la mer, émerge l'île d'Ometepe, curiosité géologique rare avec ses deux volcans. Nous comptons nous y rendre en ferry mais celui-ci ne part que dans trois jours. Ne voulant pas couper notre élan, nous préférons rejoindre l'embarcadère de Rivas et y emprunter le bateau quotidien. De plus, l'ambiance froide et presque hostile de Granada ne nous inspire guère.
Après quelques kilomètres sur des routes tranquilles, nous débouchons sur la célèbre route Panaméricaine, bande d'asphalte de 25,000 kilomètres reliant l'Alaska à la Patagonie. Au centre, le Panama, qui comme la partie centrale d'un sablier concentre tout le trafic venant du nord et du sud. Déjà au Nicaragua, la circulation se densifie. Rajouter à cela l'absence de bas côté et la conduite inconsciente des chauffeurs routiers, c'est pas le pied ! Voilà que le vent s'en mêle, ça devient franchement flippant. Il faut se rendre à l'évidence, nous n'arriverons pas à Rivas ce soir, il nous faut trouver un campement pour la nuit. Dans ces plaines sèches vouées à l'élevage, nous misons sur la solidarité paysanne. Nous interpellons deux gardiens armés à l'entrée d'une hacienda. De méfiants, ils deviennent curieux puis généreux. Les coups de fils au patron se multiplient, on nous offre d'abord de dormir dans une étable abandonnée en bord de route, puis dans une pâture bien verte, enfin dans l'hacienda même. Royal !

Au terme d'une nouvelle journée parmi les camions, nous parvenons à rejoindre l'île d'Ometepe. Nous y trouvons une ambiance plus accueillante et des routes tranquilles. L'île invite à l'exploration, nous décidons d'en faire le tour. Les deux jours prévus pour couvrir la centaine de kilomètres de piste se transforment en six. Nous nous attardons principalement sur la partie orientale du volcan Maderas, qui avec ses belles forêts, ses plages secrètes et ses petits villages paisibles nous charme. Au quatrième soir, coup de fringale pour Justine. Solution radicale : la pause Coca. Ça ne suffit pas, l'épicier-médecin préconise du repos. Il nous offre l'hospitalité. Nous plantons notre tente dans la cour et devenons rapidement l'attraction du village. Sentiment étrange, sur nos vélos, nous trimballons plus de richesses qu'il y en a dans la maison de nos hôtes. Les enfants n'ont jamais vu de chambre pliable et lorsqu'on leur montre nos matelas gonflables, leurs yeux brillent. A la tombée de la nuit, les parents viennent à notre rescousse pour faire sortir tout ce petit monde de la tente. Ils nous apportent un bon repas, des fruits frais et l'assurance d'une nuit tranquille. Au petit matin, nous quittons nos généreux hôtes. Une poignée de main respectueuse à la grand-mère, elle nous demande : « Quand revenez-vous ? ». Nous repartons le cœur plus doux.
On s'autorise encore une nuit sur la belle Ometepe avant de reprendre le ferry. Nous profitons des vues splendides sur les volcans, des baignades dans les cascades d'eau fraîche et d'un coucher de soleil rougeoyant. Nous nous apprêtons à quitter un petit coin de paradis.

La route jusqu'à la frontière Costaricaine ne s'annonce pas comme une partie de plaisir, nous décidons de couvrir l'étape d'une traite. Nous longeons la rive occidentale du grand lac, sur des dizaines de kilomètres s'alignent des éoliennes modernes. Un autre grand projet va bientôt venir chambouler le paysage : un canal financé par les Chinois (pour concurrencer celui de Panama). Quid des réels impacts économiques et environnementaux ? Le sujet fait couler de l'encre.

C'est dimanche, nous passons la frontière sans encombre. Premiers tours de roue au Costa Rica, nous sommes charmés. Des bas-côtés propres, la vue qui porte loin vers les volcans et des animaux sauvages pour nous saluer. La fin de journée est plus éprouvante, il fait un vent à déplumer les toucans et nous sommes parfois obligés de mettre pied à terre pour ne pas s'envoler. Nous faisons étape à La Cruz où nous dénichons une auberge. La patronne nous annonce des rafales de vent à 180 km/h, on craint le pire pour le lendemain.
Tant bien que mal, nous arrivons à Liberia. Une escale s'impose. Gautier a crevé quatre fois en cent kilomètres. Nous changeons les pneus et installons deux nouvelles gourdes par vélo. En effet, si le vent faiblit, la chaleur s’intensifie. Ça ne fait que commencer.
Voilà un moment que nous n'avons pas vu notre cher océan pacifique, fil rouge de notre voyage. Les retrouvailles se font à Playa Hermosa, qui porte bien son nom. Escale fraîcheur trop courte dans le grand bleu, nous repiquons dans l'arrière pays, terre des « Sabaneros ». C'est ainsi que l'on nomme les éleveurs locaux, cavaliers hors pair et manieurs de lassos.
Peu avant Santa Cruz, on atteint des sommets de chaleur. L'eau fraîche puisée une heure auparavant s'est transformée en thé. Sur le pas de sa porte, une dame nous fait de grands signes. Elle nous invite à nous reposer au bord de sa piscine. Voilà qui donne le tempo, désormais entre 10h00 et 15h00, nous passerons en mode sieste !

Luis Angel a la soixantaine bien tassée. Il vend des jus d'orange pressée au bord de la route pour compléter sa maigre retraite. Stratégiquement placé : dans une côte, à quinze kilomètres du premier village. Nous sommes des proies faciles, on s'engloutit un litre de jus vitaminé. Comme il se fait tard, nous lui demandons d'un air innocent s'il connaît un endroit où nous pourrions planter notre tente... Nous installons notre campement dans son jardin, les hamacs tendus entre deux pilotis de la maison. L'ami nous indique un petit chemin qui mène en contrebas à un ruisseau d'eau claire. Idéal pour évacuer les émotions et les efforts de la journée. Nous nous décrassons et lavons nos fringues, avec sur nos visages, le sourire béat du sportif satisfait. Soudain, un singe hurleur se montre. Puis deux. Puis trois. Puis une douzaine qui nous épient. Sommes nous sur leur territoire ? On n'ose plus bouger, partagés entre fascination et intimidation. Nous restons là un moment à s'observer mutuellement. Le soleil se couche, les bruits de la jungle s'intensifient, il est temps de remonter. Nous allons faire de beaux rêves.

Nous espérons retrouver l'océan à Playa Samara. Synonyme de fraîcheur on l'espère. Que nenni, il fait encore plus chaud qu'hier. On cuit ! En haut d'une côte, un motard nous double et nous fait signe de nous arrêter (on allait déjà pas bien vite). C'est Franky. Il nous a vu dans la vallée et veut nous payer un coup. Trop sympa, il nous redonne de l'énergie pour continuer la route.
Nous sommes exténués en arrivant à Playa Samara. Le bain de mer est salvateur. Nous campons au bord de l'eau et planifions la suite. Nous avons l'intention de suivre la piste qui longe la côte. Il nous faudra plusieurs jours pour couvrir une petite centaine de kilomètres. Le sentier est compliqué, poussiéreux. Il faut traverser des rivières à guet, pousser nos vélos dans les côtes aux pentes infernales et le four affiche thermostat 7. Mais quelles récompenses chaque soir à l'installation du campement dans des endroits idylliques. Nous arrivons de nuit à Playa Islita et posons notre tente au hasard sur la plage déserte. Nous nous amusons du spectacle de centaines de bernard l'hermite qui convergent vers l'estran. Aux aurores, deux hommes en bottes équipés de sacs à dos ratissent la plage. Louche ! Nous nous levons peu après et découvrons à une vingtaine de mètres de chaque côté de notre campement des traces suspectes. Après investigation, pas de doute, des tortues marines sont venues pondre à deux pas de notre tente. Zut, on a raté l'événement. Mais bien plus grave, les nids viennent d'être pillés ! En levant le camp, nous apercevons deux aras rouges magnifiques qui viennent nous redonner le sourire.

Nous venons d’enchaîner sept journées de vélo, nous nous trouvons une petite auberge pour une journée complète de repos bien méritée. Clim à fond, barbouillés de biafine, nous regardons le XV de France se prendre une déculottée par les Gallois.
Au petit jeu des plus belles plages, nous tombons d'accord. Playa Bejuco : 10/10. Il y a tout : une longue plage de sable argenté, des rochers aux formes torturées, une mer bleu azur et la jungle qui tombe à ses pieds. Nous nous y attardons pour une partie de pêche. Comme nous vous y avons habitués, chers lecteurs, nous repartons les mains vides. L'heure du déjeuner approchant, nous décidons de faire cuire les appâts restants ! Une famille nous prend en pitié et nous fait partager son pique-nique dominical (langoustes, poissons et salade fraîche).

Nous quittons le sentier côtier à San Francisco de Coyote et retrouvons les terres brûlantes des dompteurs de vaches. A Dominicas, c'est Oscar qui nous accueille dans sa très modeste demeure. Soixante-dix ans et toutes ses dents, son secret santé : tartines miel/ail au petit déjeuner. « C'est bon pour le système immunitaire », nous dit-il. Moins pour l'haleine, pensons nous. Instit à la retraite, c'est un puits de savoir et il s'intéresse à notre aventure. Il nous parle des côtés obscurs de son pays, la corruption du gouvernement, la flambée de l'immobilier engendrée par l'investissement étranger, etc. De notre court séjour dans ce beau pays, nous préférons retenir que les mots hospitalité et générosité ont du sens ici. Oscar nous réveille au clairon à 5h00, véridique. Il nous gave de fruits, nous refusons les tartines ! Merci. Adieu.

Nous quittons la péninsule de Nicoya, qui a tenu toutes ses promesses. Direction Puntarenas et la côte pacifique sud. Nos journées sont dorénavant bien rodées. Réveil à 5h00, Justine dégonfle le matelas de son aimé pour le forcer à se lever. Paquetage, petit dej rapide, remplissage de gourdes, on est sur la route avant 6h00. Vers 10h00, il fait trop chaud, on se trouve un coin à l'ombre. On sort les hamacs, pique-nique, sieste et on attend que ça se passe. Reprise à 15h00, nous avons deux heures pour trouver un campement. Dîner gastronomique : pâtes sauce tomate comme tous les soirs. A 20h00 on s'endort sur nos liseuses.

Nous traversons des villes à l'accent gringo. A Jaco, Quepos ou Dominical, de très nombreux occidentaux sont venus s'installer avec leurs dollars. C'est ce côté bling bling et artificiel du Costa Rica qui rebute beaucoup de voyageurs. Est-ce le voyage à vélo ? Pour nous cet aspect négatif est resté à l'ombre (il a bien de la chance!). Et nous continuons de dénicher des plages secrètes et des hôtes bienveillants. Vers Manuel Antonio, nous gardons un œil sur la route, un œil sur les arbres. Pas besoin d'aller dans le parc national voisin, nous voyons des animaux sauvages partout (iguanes, fourmiliers, tatous, coatis, singes et oiseaux multicolores). Manque à l'appel le toucan, emblème national, qui, comme le grizzly d'Alaska, se fait désirer.

Le coût de la vie au Costa Rica frôle celui de la France. Il faut donc faire preuve d'ingéniosité et d'audace pour trouver des bons plans logement en zone urbaine. A Quepos, nous nous en sortons très bien en squattant un champ face à un bel hôtel. En pleurnichant un peu et exhibant nos petites têtes de cyclistes courageux, nous parvenons à attendrir Rebecca la patronne. Dans un élan de générosité, elle nous propose gratos piscine, douche, internet et repos dans le salon de l'auberge. Chut pas un mot ! Cerise sur le gâteau, un paresseux a paraît-il élu domicile dans le champ où nous campons. Nous passons la soirée à guetter la cime des arbres, en vain.
Si le Costa Rica mise beaucoup sur le tourisme vert (avec un certain succès), ce n'est pas la seule économie du pays. En allant vers le sud, nous traversons de gigantesques plantations de palmiers et de tecks. Ici il ne reste pas grand chose de la forêt humide.

Plus loin, les villages se font rares, la route serpente à travers la jungle. Lorsque les camions nous laissent tranquilles, c'est le bonheur d'être à vélo. Nous croisons parfois des compagnons cyclistes qui remontent eux vers le nord. On prend toujours le temps de s'arrêter et d'échanger quelques mots. Un jour, nous rencontrons Marcel. Parti de Toulouse il y a deux ans et demi, il a déjà fait plus de 50,000 kilomètres sur quatre continents. 65 ans et 65 kg de bagages à trimballer. On était prêt à s'arrêter, il nous donne une bonne leçon d'humilité et de courage. Nous repartons de plus belle... Plus loin, ce sont deux Belges, Éloïse et Simon sont en route pour le Mexique. Échange de tuyaux. Comme d'autres avant eux, ils nous découragent de traverser le Panama, la route est encombrée de camions et il fait, parait-il, encore plus chaud (est-ce possible?). Nous nous posons des questions...
Nous passons la frontière Panaméenne le 11 mars après vingt-six jours de pédalage depuis Managua. Les derniers kilomètres jusqu'à la ville de David sont un vrai cauchemar. Sur la quatre voies en travaux, les gros trucks américains nous assourdissent. Nous roulons dans le fossé. Nous arrivons de nuit à l'auberge. Après une douche glacée, nous avons les idées plus claires et prenons le temps de regarder dans le rétro. Avec le vélo, nous avons découvert une autre façon de voyager, qui modifie les échelles de temps et d'espace. Cette lenteur rend possible de belles rencontres, avec les autres et avec soi même. Pourtant une certaine lassitude s'est installée et nous nous sommes découvert des ennemis : le soleil, les camions, le vent, les chiens. Au départ de Mexico, nous pensions faire 4000 kilomètres jusqu'ici. Mais partis du mauvais cale pied et jouant de malchance nous n'avons pas trouvé notre rythme. Nous n'en avons fait que 1500, mais dans quelles conditions ! Nous nous consolons à dire que ça compte double.
Envie de changer de rythme aussi, mais que va-t-on faire de nos montures ? Nous avons d'autres idées derrière la tête...




Cornes d'Auroch

Une pause s'impose

Je t'ai à l'oeil

La grande bouffe

Atterrissage réussi 

Détente à Ometepe

Lavage à grande eau

Salle de jeux

Côte sauvage

En mode Robinson

Fin de journée à Ometepe

Terre des Sabaneros

Pas besoin de hurler gamin

Playa hermosa

Décrassage parmi les singes

Merci qui? Merci Franky!

Plastic-Bernard, cousin du chanteur

Aras Macao

En piste!
Une petite têtée

Normandie tropicale


Ration de secours

Attaque de frégates

Fait faim...

Autopista



Une petite baignade?

Définitivement!

Seul au monde

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