A David, ville réputée
pour être la plus chaude d'Amérique centrale, nos cerveaux
bouillonnent. Des tonnes de questions fusent dans nos têtes.
Continuons nous avec les vélos ? Si non, que fait-on et qu'en
fait on ? Nous décidons d'aller chercher l'air frais pour
apaiser nos neurones.
Le village de Boquete se
situe à une heure de bus à l'ouest de David. Mille mètres de plus
et quinze degrés de moins, nous respirons enfin. Réhydratés par la
bruine légère et requinqués par de bons repas mijotés, nous nous
refaisons une santé. Ce court séjour dans les montagnes Panaméennes
marque une étape décisive dans notre voyage. Nous décidons
d'arrêter le vélo. Et nous décidons de continuer à moto...
Nous mettons en place un
plan d'action. Premièrement aller à Panama City et envoyer nos
vélos en France par cargo. Deuxièmement, nous rendre à Colon et
prendre un ferry direction la Colombie. Troisièmement, dénicher une
moto capable de nous emmener jusqu'en Uruguay. Y-a plus qu'à !
Nous arrivons un samedi
soir dans la grande ville de Panama. Maelys, bretonne expatriée,
nous accueille chaleureusement dans son deux pièces du centre ville.
Grâce à elle et ses amis, nous trouvons rapidement nos marques dans
cette grande citée moderne qui tranche nettement avec nos derniers
mois de barroudage. Bars branchés, grattes-ciels et métro tout
neuf, c'est par le canal et son port que nous sommes le plus attirés.
Conscients du gros trafic maritime dans la zone, nous sommes
confiants pour l'envoi de nos bicyclettes en terre natale.
Nous contactons plusieurs
boîtes de fret. Ils
semblent concourir pour le devis d’envoi le plus cher au monde. Ils
nous annoncent des prix de fous. Nous poursuivons notre quête chez
les timbrés en poussant la porte de la Poste. L'addition est moins
salée mais toujours trop élevée pour la valeur réelle de nos
vélos. Que faire d'eux? Nous ne pouvons pas les abandonner. On doit
trouver un acheteur au plus vite. La chance nous sourit, Eugenia, une
amie de Maelys, tombe amoureuse de nos biclowns, nous lui faisons un
prix cadeau. Nous sommes un peu tristes de quitter nos compagnons de
voyage mais content qu'ils restent entre de bonnes mains.
Reste à gérer le
problème des bagages. Nous faisons l'inventaire, il faut encore nous
alléger. Nous gardons le nécessaire (un slip) et envoyons le
superflu (les autres slips). Dans cette dynamique positive, nous
réservons le ferry, trouvons un hôte à Carthagène des Indes et
fixons un rendez-vous dans cette même ville avec un vendeur de moto.
Tout s'annonce pour le mieux, nous sommes soulagés et en profitons
pour faire les touristes.
Le musée national nous
apprend beaucoup sur l'histoire mouvementée du pays et de la ville
du même nom. L'espace d'une journée nous nous mettons dans la peau
de Balboa (rien à voir avec Rocky). Ce navigateur espagnol fut le
premier à découvrir l'isthme de Panama et la mer du sud (l'océan
Pacifique). Une découverte qui changea la face du monde et précipita
l'exploration du reste de l'Amérique. Nous sommes fascinés par la
salle des cartes qui répertorie des illustrations du monde connu, de
l'antiquité jusqu'au XVIè siècle. Longtemps la vision
du monde est simpliste et veille à ne pas contrarier les principes
de l'Eglise prônant la Sainte ignorance. Au fur et à mesure des
conquêtes, les contours de l'Afrique et de l'Asie s'affinent. Mais
ce n'est qu'après la découverte de Balboa que l'Amérique se révèle
être un nouveau continent (et pas celui des Indes comme le pensait
Colomb). A partir de là tout s'accélère et en quelques décennies
la silhouette de l'Amérique est dessinée. Les grandes puissances
européennes prennent conscience de l'immensité de ces nouvelles
terres et de leurs richesses.
C'est la course à la conquête pour les grands royaumes occidentaux
(Espagne et Portugal en tête) qui vont se partager le gâteau sans
pitié. Conséquences directes : l'asservissement (et souvent le
massacre) des populations indigènes ainsi que l'essor de l'esclavage et de la traite négrière. Aujourd'hui le visage de
l'Amérique reflète cette histoire extraordinaire et tragique. Sur
ce sujet, nous avons aimé lire L'entreprise
des Indes d'Erik
Orsenna.
Le
musée de Panama traite également d'un sujet plus attendu, le Canal.
Des dizaines d'ingénieurs en chef se sont cassés les dents sur cet
ouvrage exceptionnel inauguré en 1914. Soixante-dix-sept kilomètres
de long, des maxi écluses de vingt mètres de hauteur, cinq mille
ouvriers morts à la tâche, voilà pour les chiffres gargantuesques.
Aujourd'hui 14000 navires géants du monde entier y transitent chaque
année. Une vrai manne financière pour le pays compte tenu des
droits de passage. Pas étonnant que la zone ait attirée les
convoitises et soit toujours un lieu géo-politiquement sensible.
L'heure
de la grande traversée approche. Nous faisons notre baluchon et
préparons des vivres pour le trajet en bateau jusqu'en Colombie, qui
doit durer vingt heures. Nous arrivons à Colon trois bonnes heures
avant le départ, on ne veut pas le rater. Ça ne risque pas !
Le ferry est annulé. On est dégoûtés. Le prochain départ est
dans cinq jours. Décidément entre Skagway en Alaska, Puntarenas au
Costa Rica et Colon au Panama, le dieu des ferrys nous en veut.
Cerise sur le gâteau, Colon nous paraît être la ville la plus
moche et la plus malsaine de tout notre voyage. Sorte de ghetto géant
affublé de tous les maux de la société moderne (drogue,
prostitution, violence, etc.). Nous dénichons un hôtel qui n'est
pas trop glauque, on s'y réfugie pour la nuit. Tout nos plans
tombent à l'eau. On s'enfile une bouteille de rouge.
La nuit porte conseil.
Nous avons cinq jours à attendre, nous allons les passer les pieds
dans l'eau. Nous jetons notre dévolu sur un petit port de la côte
Caraïbe dénommé Puerto Lindo (« joli port »). Au fond
d'une crique, entre la jungle et la mer turquoise, le lieu est
idyllique. En apparence. Rapidement nous décelons les limites du
rêve Caribéen. La population est délaissée, la jeunesse zone et
les adultes traficotent. Aucun poisson dans les cales des bateaux,
aucun légume sur les étals, en revanche la bière ne manque pas
dans les frigos. Toutes baffles dehors, du matin jusqu'au soir on
nous impose une musique abrutissante, les chiens galeux parcourent la
plage jonchée d'immondices à la recherche d'un bout de poulet. On
se croirait dans les Kiribati décrites par Maarten
Van Troost dans son roman La vie sexuelle des cannibales
(on vous conseille le bouquin).
Pour autant, on se fait à l'ambiance. Un matin, nous partons sur une
frêle embarcation pour une pêche miraculeuse, enfin ! Nous
faisons aussi la connaissance de marins français qui gagnent leur
vie en embarquant des touristes vers la Colombie ou vers les
magnifiques îles San Blas toutes proches. Depuis leur voilier
mouillant dans la crique, la vie semble plus douce.
Cette fois nous prenons
la peine de vérifier le bon départ du ferry. Nous avons hâte.
Après quelques files d'attente à la douane, nous embarquons enfin
avec cinq jours et une heure de retard. Le grand bateau nous mène à
bon port, nous posons pied à Carthagène des Indes dans l'après
midi du 24 mars. Nous voilà en Amérique du sud !
Le plan couchsurfing
étant tombé à l'eau, nous nous rabattons sur une auberge de
jeunesse de la vieille ville. Vers 18h00, Alex nous y rejoint. Ce
jeune Australien voyageur s'apprête à rentrer au pays et se sépare
de sa moto. C'est la deuxième fois en une semaine qu'il fait le
voyage depuis Bucaramanga (1500 kilomètres aller-retour tout de
même), car au premier départ annulé du ferry nous n'avions pas pu
le prévenir à temps. C'est un vendeur motivé ! Le voilà qui
arrive au guidon de sa Kawasaki KLR 650. Gautier l'inspecte en
détails et part pour quelques tours de roue. Après 500 mètres, le
voilà stoppé par la police. Oups ! Sans papiers et semble-t-il
en infraction (mystérieuse interdiction de circuler dans le centre
ville), les négociations s'annoncent dures. Alex vient à la
rescousse avec les papiers et son expérience du pays. Nous sommes
semble-t-il tombés sur un flic coriace et corrompu. Après deux
heures de pourparler, il
nous entraîne dans un coin discret. Nous n'avons pas le choix, son
tarif est le notre : 300,000 pesos (100 euros). Bienvenue en
Colombie !
Qu'à cela ne tienne,
nous ne sommes pas à un découragement près. Nous faisons affaire
dans la soirée. Les derniers jours ont été riches en émotions,
nous réalisons à peine quel bel et chanceux achat nous venons de
faire. Encore quelques paperasses à régler, les sacoches de vélo à
adapter et nous serons prêts.
Pendant ce temps nous
visitons la magnifique ville de Carthagène, sous l'écrasante
chaleur des Caraïbes. Du fait de sa position stratégique au
carrefour des routes de l'or et des esclaves, la ville fut longtemps
convoitée par les pirates français et anglais. Les espagnols en ont
fait une forteresse, la vieille ville est entourée d'une muraille de
douze kilomètres. Avec ces balcons en bois fleuris, ces grandes
battisses colorées et ces monuments religieux, l’intra-muros
regorge de beauté architecturale. La ville classée à l'Unesco est
également le premier site touristique de Colombie, et on comprend
pourquoi.
Comme les corsaires du
XVIè
siècle, nous avons envie de vent dans les cheveux et d'aventures. A
défaut de frégate nous avons une belle moto. Le 28 mars, nous
mettons les voiles.
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Jour d'inventaire |
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Art végétal |
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Admirez le style! |
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Panama City |
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Notre pêche miraculeuse |
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Marché ambulant |
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Bateau pirate |
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Isla Mamey de loin |
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Isla Mamey de près |
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Puerto Lindo de loin |
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Puerto Lindo de près |
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Embarquement pas immédiat |
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Port de Colon |
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Terre! Terre! |
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Partie interminable |
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Balcons fleuris |
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Couleurs de Carthagène |
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Carthagène by night |
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En route! |
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