Nous vous avions laissés
devant les portes lumineuses d'une salle de concert à San Francisco,
doigts et orteils croisés pour que nous puissions rentrer. La chance
nous sourit. C'est pour une somme dérisoire qu'on nous laisse
franchir le seuil de cette salle magnifique : plafonds ornés
d'imposants lustres, murs habillés de miroirs et balcons en vieux
bois. Le concert est épique, psychédélique à souhait. On ne
pouvait rêver mieux en ce 14 octobre, beau cadeau pour Gogo. Notre
bref séjour à San Francisco aura la même saveur et intensité que
cette soirée.
Le port actif qui fait
face à l'insolente prison d'Alcatraz, les rues aux pentes
déraisonnables testant les freins de Yakari. La ville est sans
complexe. Elle est cosmopolite et
avant-gardiste. Chaque quartier nous raconte son histoire :
Castro, berceau de l'émancipation des homosexuels. North Beach et
l'arrivée de ses migrants italiens. Chinatown, homologue asiatique.
The Haight, où le mouvement hippie est né.
En traversant le pont de
Golden Gate, nous retrouvons Roger. Personnage haut en couleur ayant
beaucoup aidé Gautier lors de son premier voyage en Californie. Nous
évoquons des souvenirs et parlons de sa nouvelle vie. Ancien
habitant des rues festives de Castro, la flambée des prix de
l'immobilier (San Francisco étant devenue la ville la plus chère
des Etats Unis) l'a poussé à élire domicile de l'autre côté de
la baie, dans le Marine County. Nous en profitons pour visiter la
voisine Sausalito. Avec son nom de saucisson espagnol, la ville a
cette particularité d'être constituée principalement de maisons
flottantes aux allures bobos.
Nous serions bien restés
plus longtemps mais l'horloge tourne. Nous repartons sur la mythique
route numéro 1 qui longe la côte pacifique. Nous faisons l'impasse
sur Santa Cruz et Monterrey qui pourtant sont d'un grand intérêt.
Nous poussons jusqu'aux alentours de Big Sur pour une nuit magique,
seuls au monde en haut d'une falaise.
Plus au sud, à San
Simeon, des centaines de jeunes éléphants de mer se prélassent.
C'est en discutant longuement avec un guide-naturaliste, amoureux de
ces gros patapoufs, que nous découvrons leur singulière histoire,
tragique et miraculeuse à la fois. Au XIXè siècle ces mammifères
ont été intensivement chassés. Pour récupérer leur gras (utilisé
pour les lampes à huile), les hommes ont bien failli avoir leurs
peaux ! Au point qu'il n'en serait resté qu'une quinzaine sur
toute la côte nord pacifique. Cette colonie trouvera refuge sur une
île épargnée du Mexique. Avec la découverte du pétrole, la
chasse aux phoques n'est plus lucrative et le massacre est évité in
extemis. Les éléphants de mer que l'on trouve aujourd'hui en
abondance sur les côtes Américaines descendent tous de ces rescapés
mexicains.
A Cambria, nous nous
enfonçons dans l'arrière pays. Le paysage change dramatiquement,
sans l'influence de l'océan, les nuages suivent un régime
amincissant : c'est la sécheresse. Nous rentrons désormais sur
le territoire des tarentules et du fameux serpent à sonnette. En fin
de journée nous arrivons chez Thomas, copain de Gautier, installé
aux Etats-Unis depuis deux ans. Nous sommes ravis de le voir et de
faire la connaissance de sa charmante femme Kelly et de leur bambin
Liam. Ils sont installés au cœur du domaine viticole familial,
Kelly est en outre sommelière. Le cubi de « rouge qui tâche »
dans le van est oublié quelques temps. Nous y passerons trois jours
très agréables.
Nous nous enfonçons
toujours plus dans les terres, aux portes du désert. La route n'en
finit plus, Yakari montre des signes de fatigue, et nous aussi.
Malgré l’absence quasi totale de pluie, des plantations de
pistachiers, amandiers, pommiers, des champs de coton et de luzerne,
s'étendent à perte de vue. Le long des routes se succèdent canaux
d'irrigation et panneaux indiquant « California needs water ».
Après deux jours de
route, nous atteignons notre but : le Parc national de Joshua
Tree. Nous faisons le plein d'eau, direction le pays des cactus. Nous
passons une première nuit dans un des campings du parc, superbement
aménagé entre les chaos granitiques. La lumière du soir est
superbe, en préparant le dîner nous croisons un coyote, où est
bip-bip ?
Ce court séjour dans le
désert nous a fasciné et reposé. En sortant du parc, nous
retombons sur un territoire complètement contrôlé et artificialisé
par l'Homme: Palmsprings. Villégiature pour riches non amoureux de
la nature, cette ville présente une densité de piscines et de
terrains de golfs honteuse, par rapport aux réserves hydriques des
environs.
Dernier voyage pour notre
vieil ami Yakari, direction San Diego. C'est dans cette ultime ville
avant la frontière mexicaine que nous décidons de vendre le van.
Nous sommes confiants, une annonce tourne sur le web depuis quelques
jours et des affiches sont placardées dans les repères de surfeurs
de la ville. Pourtant, il nous faudra patienter 10 jours pour trouver
preneur.
Dès notre arrivée, par
deux fois nous pensions avoir accroché le poisson. Mais nous avons
agit comme des bleus. Au premier rendez-vous la jauge d'huile
indiquait marée basse, au deuxième l'acheteur nous fera remarquer
gentiment que les pneus sont
usés jusqu'à la corde. Oups ! Vidange et changement de
pneus en urgence.
Les appels se font plus
rares. Les jours défilent. Nous décidons de passer par la case
Carmax. Laissez nous vous expliquer . Un genre de fast-food pour
voiture, un concept très américain. Un premier gus nous reçoit,
casquette rouge, chemise de pompiste, il prend la commande :
Chevy 91, kilométrage inconnu, deux p'tits jeunes pressés de le
vendre. Un autre dispose un numéro sur le van comme on le fait sur
une table chez Mac-Do. Le staff en cuisine (en garage) fait un
check-up complet de la bête. Les résultats sont renvoyés
directement sur l'écran du guichetier qui nous fait signe tout
sourire. Après une heure d'attente, nous sommes servis : le
commercial de l'équipe nous annonce que Carmax est heureux de nous
offrir pour notre véhicule. Tiiin Tiiin : 200 dollars ! Ah
les chameaux, c'est le prix des pneus.
Nous noyons notre
impatience et lassitude au creux des vagues d'Ocean Beach. Nous avons
nos petites habitudes dans le quartier, le cafetier nous demande si
nous avons trouvé acheteur. On salue les surfeurs qui comme nous ont
l'air de squatter les douches publiques de la plage. Dans notre
malheur, nous sommes tout de même bien tombés, San Diego est une
ville agréable, il semble y faire toujours beau et l'atmosphère est
détendue.
Finalement, l'après midi
du 28 octobre, le téléphone sonne. Rendez-vous est prit dans la
soirée à une heure de route de notre QG. On y croit, les sacs à
dos sont bouclés. On avait raison, l'affaire est pliée en une
demi-heure. L'acheteuse est enchantée, elle nous paye cash sans même
négocier. Après la poignée de main, nous réalisons que nous
sommes, certes riches, mais sans toit et piétons.
Nous sommes qui plus est
illégaux sur le territoire Américain depuis deux jours. Avec un peu
d'appréhension, nous passons la frontière terrestre à Tijuana.
Étonnamment, en allant vers le Mexique, il n'y a aucun contrôle,
juste une porte à pousser. Dans l'autre sens, il y a de longues
heures d'attente et le regard suspicieux des douaniers.
La première
course en taxi nous plonge dans le bain : Bienvenido a Mexico.
C'est après avoir demandé mille fois son chemin que le chauffeur
nous dépose sains et saufs devant la maison de Randy, notre hôte du
soir. A deux pas de la mer, cet ancien Marine passe sa retraite là
où les filles et la tequila sont bons marchés.
Nous prenons un peu
de distance, de repos, pour digérer les émotions des derniers
jours. Notre séjour en Amérique du nord se termine, beaucoup
d'images nous restent en mémoire, des paysages grandioses, de belles
rencontres. L'Amérique que nous avons parcourue nous a plu. Certes
un peu beauf et vieillissante par moment mais tout de même loin des
clichés de l'Amérique ignorante et puritaine. Nous allons aussi
regretter Yakari et son confort.
Une page se tourne. Comme
un signe d'adieu, des dauphins surfent dans les vagues de Tijuana.
Nous disons aurevoir à l'océan. Demain nous nous envolons pour
Mexico, avec l'idée d'y dénicher des vélos. Un grand bon en avant,
prendre de l'avance pour mieux prendre notre temps lorsque nous
serons sur deux roues.