Sur la route...

vendredi 12 juin 2015

Pile ou face

Il est de ces pays qui ne laisse pas indifférent. Où se mêlent des endroits qu'on adore et d'autres qu'on déteste. Qui s'entête à jouer avec nos émotions. C'est le cas du Pérou.
Nous y sommes rentrés par la petite porte. Celle qui n'est pas plaisante à pousser. Nous avions choisi d’accélérer le pas en quittant la montagne et en rejoignant la route panaméricaine qui longe la côte désertique. Nous nous faisions une joie de rejoindre notre vieil ami iodé, l'océan pacifique. Les retrouvailles furent désolantes. Sur des centaines de kilomètres, c'est une décharge à ciel ouvert de chaque côté de la route. Les camions en file indienne viennent y vomir leurs cargaisons de détritus et de gravas. La terre est rendue inutilisable à jamais. On dirait que l'homme a déclaré la guerre à son environnement.
Nous faisons une escale maritime à Pacasmayo et découvrons avec étonnement qu'il s'agit d'un spot de surf mondialement connu. Nous y croisons des étrangers spécialement venus glisser la fameuse vague gauche, réputée la plus longue du monde. Curieux, nous partons le lendemain à la découverte du fameux spot. Certes le rouleau est beau, mais quelle désolation sur la côte. Nous avons du mal à faire abstraction du chantier qui nous entoure.
Nous continuons malgré tout sur la Panaméricaine. Un vent d'ouest furieux rend la route non seulement désagréable mais un peu dangereuse. Vers Trujillo, c'est le pompon! En contournant la ville se succèdent bidonvilles, projets immobiliers abandonnés, poulaillers déplumés au milieu des gravas de bâtiments déjà détruits avant même d'avoir été finis. Nous longeons la plage, quasiment inaccessible derrière une dune de déchets. La brume de mer persistante, et typique de cette région du monde, ajoute au sinistre de la scène. Le dernier faubourg au sud de la ville porte bien son nom : Moche.
Nous sommes abasourdis, à tel point que nous ne faisons pas arrêt dans cette ville et dénigrons bêtement le site archéologique de Chan Chan.

Après la petite bourgade de Chao, nous bifurquons à l'est et quittons progressivement le désert. La belle route asphaltée se transforme en piste poussiéreuse à mesure que nous nous enfonçons dans la vallée du rio Santa, oasis de verdure prisonnier des massifs rocailleux. En milieu de journée, nous atteignons le fameux et impressionnant cañón del pato. Au détour d'un de ses nombreux tunnels creusés à même la roche, nous découvrons les premiers contreforts de la majestueuse cordillère blanche. Le changement de paysage et de climat est saisissant.
Nous redécouvrons les joies du camping près du village de Villa Sucre. Les habitants sont accueillants et nous indiquent un peu plus haut un champ tranquille bordé d'eucalyptus. C'est l'endroit parfait. La vue porte sur les sommets enneigés de la cordillère, le feu de camp et la fraîcheur nocturne nous remémorent notre bon temps en Alaska.
A Yungay, c'est jour de marché. Nous nous perdons au milieu de la foule bariolée. Les différentes ethnies se distinguent à la forme et la couleur de leur chapeau. Nous en comptons une dizaine différente. C'est tout de même moins que les variétés de pommes de terre présentes sur les étals.

Sur les conseils d'un motard Allemand croisé en Equateur, nous nous élançons à travers la cordillère sur une piste caillouteuse. Tout en virages, le sentier monte et nous emmène au cœur d'un écrin montagneux. Nous plantons notre tente près du lac Llanganuco à 3900 mètres. La vue est imprenable sur les sommets environnants et la ballade digestive nous fait découvrir une flore extraordinaire. La nuit sera froide et humide. Au petit matin, notre bâche protectrice est raidie par la gelée mais le ciel s'est dégagé et nous offre son plus beau spectacle. La montée jusqu'au col à 4900 mètres est épique. Les derniers lacets se font sur la neige et nous n'avons pas assez de nos yeux pour apprécier la beauté qui nous entoure. Les lacs verts émeraudes, les falaises de granit abruptes, la végétation aux couleurs insolentes et l'Alpamayo, cette montagne parfaite, comme dessinée par un enfant, nous apparaissent comme un tableau imaginaire. Nous sommes d'accord pour dire qu'il s'agit d'un des plus beaux paysages que nous ayons jamais vu.
Sur l'autre versant, le spectacle est tout aussi saisissant, et les sens en éveil, nous rejoignons le village tranquille de Yanama. Nous recevons un bel accueil de la part des habitants qui sont autant intrigués par notre moto que nous le sommes par leur culture. Au petit matin, après un bol de quinoa chaud avalé, nous repartons à travers la montagne sur une piste encore plus étroite. Malheureusement le brouillard se lève et nous gâche la vue sur les glaciers avoisinants. Vers 4000 mètres, au milieu des champs de patates et des moutons, la moto se met à fumer et une odeur de plastique brûlé nous alerte. Tout de suite nous coupons le contact. Après avoir enlevé le carter, le problème est vite trouvé, les fils électriques ont prit feu suite à un court circuit (les fusibles eux sont intacts). On a frôlé l'incendie, les dégâts sont importants et il va falloir refaire quasiment tout le câblage. Nous voilà dans de beaux draps! Impossible de continuer, il nous faut rallier le prochain village. Où est-il? Nous croisons alors Prosperino, habitant du village voisin et lui expliquons la situation. Pas de mécano avant Chacas, dit-il, à 30 kilomètres (soit deux bonnes heures de route dans ces chemins sinueux). Bientôt d'autres villageois se joignent au conseil et nous proposent deux solutions : utiliser le tracteur de la paroisse ou bien attendre le prochain minivan. Nous optons pour ce dernier. Même pas peur, on démonte les sièges du van et embarquons la moto, amarrée de manière approximative. Nous voilà en route avec nos compagnons porteurs sur une route à flanc de montagne encombrée de moutons. Belle surprise, cet arrêt forcé à Chacas sera l'occasion de visiter ce joli village authentique encore oublié du tourisme (jusqu'à quand?). Ce sera aussi l'occasion de manger notre premier Cuy (cochon d'Inde) arrosé de vin Péruvien. Grâce au mécano et à l'aide villageoise, nous repartons après une nuit réparatrice des émotions vers les cimes Andines. Le temps n'est malheureusement pas avec nous et passons à la Punta Olimpica (le tunnel le plus haut du monde à presque 5000 mètres) sous une pluie glaçante. Nous poussons jusqu'à la capitale provinciale Huaraz et prenons un repos mérité dans cette ville à l'accent gringo. On s'y accorde des petits plaisirs d'occidentaux avec de bonnes bières artisanales et des pizzas au feu de bois. Que d'émotions vécues. Terre de contraste. Le Pérou vient de nous offrir en quelques jours son pire et son meilleur.

Il est temps pour nous de rejoindre Lima, où nous sommes attendus par Claude, une amie de fac de Justine. Pour rejoindre la côte, nous traversons les paysages de vallées profondes et de désert que nous connaissons déjà. Il nous faut plusieurs heures pour rentrer dans la tentaculaire capitale et rejoindre la banlieue sud de Chorillos. La circulation est impossible dans cette mégalopole de neuf millions d'habitants, soit près d'un tiers de la population Péruvienne. Nous ne sommes qu'au début de nos déboires circulatoires. Nous sommes accueillis à bras ouverts chez Françoise, la maman de Claude, qui nous hébergera très généreusement dans sa belle demeure pendant quasiment une semaine. Nous nous sentirons comme à la maison, partageant repas, discussions et soirée anniversaire dans une ambiance chaleureuse.
Nous retrouvons Claude, son compagnon Guillermo et leurs deux petites jumelles chez eux à Lurin, à une heure au sud de Lima. Justine est contente de retrouver son amie dans son pays d'origine. De la biologie marine, elle s'est reconvertie en gérante d'un centre équestre. Ici on monte des chevaux de Paso, race Péruvienne au pas singulier, particulièrement bien adaptée à la ballade. Nous enfourchons nos nouvelles montures sans moteur. Braves bêtes, nous n'avons pas le permis mais elles se conduisent toutes seules. Nous partons pour une promenade en bord de mer. Nous sommes ravis de partager ce moment avec Claude mais triste qu'ici comme ailleurs l'Homme ne respecte pas la nature. C'est d'ailleurs un de ses combats quotidiens que de sensibiliser les habitants et les cavaliers à la préservation de leur environnement. Nous lui souhaitons bonne chance.
En revenant à la capitale, la chaîne de la moto se brise à deux pâtés de maison de chez Françoise. Nous devions justement la changer. Mais trouver des pièces Kawasaki et un garage compétent s'avère difficile, qui plus est à pied! Nous écumons les garages au quatre coins de la ville, façon peu agréable de visiter les différents quartiers, pas toujours fréquentables.

Nous faisons nos adieux à Claude et à Françoise. Un grand merci. Nous souhaitons à présent retrouver les Andes via la région de Yauyos, méconnue et pourtant incroyablement belle. Nous arrivons au petit village de Huancaya après avoir longé le rio cañete. Si la rivière enchantée existe, nous y sommes. Cascades magnifiques, eaux cristallines et lacs vert émeraude, la vallée est sublime. Nous sommes tentés de l'explorer jusqu'au bout mais la piste est difficile et le temps nous manque.
Plus à l'est dans le canyon de Uchco, la route est si étroite que les parois des falaises se touchent presque. En levant les yeux, nous pensons apercevoir un condor majestueux. Instant magique et rare tant l'oiseau se fait discret malgré son envergure record de plus de trois mètres. Nous prenons de la hauteur en arrivant dans la province de Huancayo et, sur les terres brûlées au dessus de 4000 mètres, rencontrons des troupeaux de lamas et alpagas aux têtes sympathiques.

Autant nous sommes fascinés par la campagne et les communautés rurales, autant les villes péruviennes nous apparaissent souvent misérables et repoussantes. Les immeubles ne sont pas finis, rien est homogène, les rues sont sales et bruyantes et la population semble perdue. Comme dans beaucoup de pays en voie de développement, la machine urbaine semble aller trop vite. Les habitants paraissent bloqués sur le quai du désarroi après avoir raté le train de la modernité.
Les jours qui suivent sont un peu longs, la cordillère se fait plus aride et moins attrayante. La route toute en virage et à voie unique est stressante. Nous jouons du klaxon et de prudence pour éviter les fous du volant péruviens. Nous trouvons toutefois des auberges, même dans les endroits les plus reculés. Le prix de la chambre donne une idée de l'isolement et de la qualité du service. A quatre euros la chambre double, il ne faut pas s'attendre à beaucoup de luxe. A Chumbes, Nous faisons remarquer au patron de l'hôtel qu'il manque une fenêtre.

  • "C'est parce que le toit s'effondre et que le verre à cassé sous la pression." nous dit-il.
  • "Ah bon!"
  • "Mais il ne fait pas froid!"
Ben voyons! Après tout, nous ne sommes qu'à 3500 mètres d'altitude et un bon petit 3 degrés nous attend pour la nuit. Qu' à cela ne tienne, nous dégotons un vieux matelas en mousse dans le foutoir ambiant et calfeutrons le trou béant.


L'envie de parcourir la montagne au pas lent du randonneur nous tente. A Abancay, nous faisons le plein de vivres et d'équipements pour partir marcher en toute autonomie pendant quatre jours. Nous avons l'intention de rejoindre le site Inca de Choquequirao. Il n'est accessible qu'à pied, particularité qui le préserve du tourisme de masse. Le départ se fait depuis le charmant village de Cachora où nous laissons notre moto chez Marcelino. Nous sommes un peu rouillés par deux mois de moto et autant d'inactivité sportive. Quel décrassage! Nous ne nous attendions pas à si dur. Soixante-cinq kilomètres et 7200 m de dénivelé cumulé. Aïe! Le premier jour est terrible et nous atteignons le bivouac du soir épuisés. Sans mules pour nous aider, le poids des sacs est un vrai handicap. Nous rencontrons d'autres marcheurs, la plupart français, et partageons ensemble le goût de l'effort. Quelle récompense en apercevant les premières pierres et terrasses du site archéologique. Nous sommes seuls, la lumière du soir est magique et la vue porte à trois cent soixante degrés sur des pics enneigés et des vallées verdoyantes. C'est magnifique. Mais quand même, quelle idée de venir aussi haut pour s'installer! Les mollets tremblotants, on ne peut s'empêcher de penser : ils sont fous ces Incas! Tout courbaturés mais heureux de l'avoir fait, nous retrouvons notre moto et un lit douillet. Au creux de nos rêves, nous poursuivons notre voyage aux côtés des Incas.      


Vallée oasis

Maison de sable

En demandant son chemin

Accueil canin

Feu de camp

Lever de lune

Concours de chapeaux

Vert émeraude

Campement humide

Lupin sauvage

Au cœur de l'écrin

Pub Milka

Pays des merveilles

Motard heureux

Scène de village

Dépanneuse

Jour de paye

Y'a du swell!

Avec Françoise et Claude

Garage équin

Chevauchée fantastique

Vallée enchantée

Beauté en cascades

Eaux tranquilles

Canyon de Uchco

Plaine à lamas

Patchwork de quinoa

La rivière désenchantée

Carglass répare, Carglass remplace

Photo de famille

Campagne Péruvienne

Carte postale

Gare aux mollets!

A la chasse aux papillons

Terrasses Incas

Billeterie

Site de Choquequirao

Lamas de pierre

Bézot des Andes

On l'a fait!